"NOUS SOMMES LA TERRE" - JUIN 2021

Cheminons ensemble - Lettre juin 2021

Bonjour chers lecteurs ! 

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Nous sommes la Terre

Dans la précédente lettre, il était question de développement durable.

Le pape François, dans son encyclique Laudato Si', parle d'écologie intégrale car "tout est lié". C'est le cœur de l'encyclique qui "incorpore la place spécifique de l'être humain dans ce monde avec la réalité qui l'entoure". Cette seconde lettre lui est consacrée.

"Étant donné que tout est intimement lié et que les problèmes actuels requièrent un regard qui tienne compte de tous les aspects de la crise mondiale, je propose à présent que nous nous arrêtions pour penser aux diverses composantes d'une écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et sociales." (§137)



    1. Les paroles du Pape

Quelques extraits de Laudato Si' :


§11 : Une écologie intégrale requiert une ouverture à des catégories qui transcende le langage des mathématiques ou de la biologie, et nous orientent vers l'essence de l'humain… Cette conviction a des conséquences sur les opinions qui déterminent notre comportement. Si nous nous approchons de la nature et de l'environnement sans cette ouverture à l'étonnement et à l'émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté, dans notre relation avec le monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur des ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats. En revanche, si nous nous sentons intimement unis à tout ce qui existe, la sobriété et le souci de protection jailliront spontanément. La pauvreté et l'austérité de Saint François n'étaient pas un ascétisme purement extérieur, mais quelque chose de plus radical, un renoncement à transformer la réalité en pur objet d'utilisation et de domination.


§49 : Mais aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu'une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l'environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres.


§82 : Quand on propose une vision de la nature, uniquement comme objet de profit et d'intérêts, cela a aussi de sérieuses conséquences sur la société. La vision qui consolide l'arbitraire du plus fort a favorisé d'immenses inégalités, injustices et violences pour la plus grande partie de l'humanité, parce que les ressources finissent par appartenir au premier qui arrive ou qui a le plus de pouvoir : le gagnant emporte tout. L'idéal d'harmonie, de justice, de fraternité et de paix que propose Jésus est aux antipodes d'un pareil modèle.


§91 : Le sentiment d'union intime avec les autres êtres de la nature ne peut être réel si en même temps il n'y a pas dans le cœur de la tendresse, de la compassion, de la préoccupation pour les autres êtres humains... Tout est lié, il faut donc une préoccupation pour l'environnement unie à un amour sincère envers les autres êtres humains, et un engagement constant pour les problèmes de la société.


§92 : Paix, justice et sauvegarde de la création sont trois thèmes intimement liés... Tout est lié, et comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et des sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l'amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre. 


§139 : Quand on parle "environnement", on désigne en particulier une relation, celle qui existe entre la nature et la société qui l'habite... Nous sommes inclus en elle (la nature), nous en sommes une partie et nous sommes enchevêtrés avec elle. (...)  Il est fondamental de chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre eux et les systèmes sociaux.


§161 : Le rythme de consommation, de gaspillage, de détérioration de l'environnement a dépassé les possibilités de la planète, à tel point que le style de vie actuel, parce qu'il est insoutenable, peut seulement conduire à des catastrophes... L'atténuation des effets de l'actuel déséquilibre dépend de ce que nous ferons dans l'immédiat, surtout si nous pensons à la responsabilité que ceux qui devront supporter les pires conséquences nous attribueront.




Tout le chapitre 4 parle "d'écologie intégrale". L'écologie intégrale c'est la prise en compte de l'interdépendance qui unit les êtres vivants ; c'est la prise en compte de la complexité de l'ensemble des interactions qui nous unissent et qui nous rendent interdépendants de ceux avec qui on vit humains ou non ; avec une vision de l'être humain au centre de la création.

Dans ce chapitre, le Pape parle d'écologie environnementale, économique, sociale et culturelle, les piliers évoqués dans notre première lettre, pour arriver à la notion de bien commun et de justice entre les générations. Il nous invite à orienter nos vies, à faire des choix solidaires et surtout à l'action dans une conversion écologique que nous aborderons dans notre 3ème lettre. Nous sommes donc directement impliqués.



    2. Les réflexions d'Elena Lasida

D'origine brésilienne, Elena Lasida est économiste, professeure à l'Institut Catholique de Paris et théologienne, Elle est aussi chargée de mission "Écologie et société" par la Conférence des Évêques de France, et fortement impliquée en France dans le mouvement "Église Verte".


De ses interventions et articles autour de Laudato Si', nous avons extrait quelques réflexions. Pour elle, l'écologie intégrale est une "révolution mentale". On ne peut concevoir l'écologie indépendamment des rapports à l'humain, à Dieu, aux institutions, à la culture, à la politique, l'économie.

Cette nouvelle culture écologique implique 


3 principes fondateurs : 

  • Tout est lié : il existe un lien structurel entre le rapport à la terre, à soi, à autrui, à Dieu. Le Pape appelle les êtres humains à se mettre en communion avec tous les autres êtres vivants.
  • Tout est donné : la terre et tous ses fruits constituent un don de Dieu gratuitement reçu qui doit bénéficier à tous et non seulement à ceux qui peuvent s'en approprier. Il doit conduire à une attitude de "gratitude et de gratuité".
  • Tout est fragile : la fragilité de la création et de la vie humaine doit être un appel à la protection et à la créativité humaine pour marquer "un nouveau commencement". Pas de création possible dans le tout plein, pas de vie nouvelle sans traversée de la mort. La fragilité est source de vie.

Ces 3 principes deviennent les pivots autour desquels se tisse le vivre ensemble. Penser la réussite individuelle comme celle qui génère du lien, concevoir l'échange marchand tel qu'il rend possible la gratuité, viser une solidité qui se construit grâce à la fragilité et non pas contre.


3 convictions :

  • Le tout est supérieur à la partie : le tout ne peut se réduire à la somme des parties. C'est ce qui relie les parties qui fait le tout. Le particulier doit toujours être mis en perspective du tout et la totalité doit être enracinée dans chaque situation particulière.
  • L'unité est supérieure au conflit : l'unité fondée sur la "communion" des différences et non leurs suppressions. L'unité n'efface pas les particularités de chaque composante, elle les met en dialogue Les tensions engendrent quelque chose de commun et de nouveau. Unité n'est pas uniformité.
  • Le temps est supérieur à l'espace : car tout est fragile. Une invitation à initier des processus plutôt que de posséder des espaces. Remplacer la priorité donnée au court terme vers le résultat durable, la prévision parfaite par l'accueil de l'inattendu, l'envie de posséder pour mieux maîtriser la mise en mouvement.

3 appels (interpellations) :

  • Revisiter la notion d'autonomie : ce qui rend autonome ce n'est pas l'indépendance (le fait de ne dépendre de personne) mais l'interdépendance ou le fait d'avoir toujours quelque chose à donner ou à recevoir d'autrui, articuler les intérêts des autres avec le mien.
  • Interroger le droit de propriété : grand fondement des sociétés modernes
  • Questionner ce que l'on entend par sécurité : la sécurité pensée non plus comme contrôle pour réduire au maximum l'imprévu, mais créer les conditions pour bien accueillir l'inattendu.

La réalité nous invite à vivre la crise écologique comme un lieu de révélation et non pas un problème à résoudre, une nouvelle forme de présence de Dieu dans l'histoire.



    3. Les intuitions du Père Cestac

Que disait et faisait le Père Cestac à son époque ?

Les paroles du Pape François, l'analyse d'Elena Lasida, ont beaucoup d'échos dans la pensée du Père Cestac, dans l'histoire du Refuge et des personnes accueillies.


Dès 1836, quand il accueille à Bayonne les premières orphelines, il écrivait au Maire de Bayonne : "J'ai horreur en pensant que ces pauvres infortunées (il parle des orphelines, à l'âge de 15 ou 16 ans) deviennent, pour d'exécrables êtres, quelquefois pour une mère dénaturée, l'objet d'une infâme industrie. Il en est ainsi pourtant et, moi-même, ce n'est qu'au prix de grands sacrifices que j'ai pu arracher des victimes à d'inévitables immolations".


Le serviteur de Dieu, expose clairement le nouveau problème social qu'il va tenter de résoudre, une de ses "divines folies" selon le chanoine Daranatz :

Dans une ville de marine, de garnison de commerce et de passage, les malheureuses filles publiques "...flétries, stigmatisées du sceau de l'ignominie, désavouées par leur famille, repoussées de partout et forcées de refouler dans leur âme tout sentiment de retour toute idée de repentir. C'est affreux à penser et mon âme désolée songea sérieusement à venir en aide à ces pauvres mais bien malheureuses créatures..." (lettre du 19/2/1839).

"Après avoir longuement médité sur les moyens les plus convenables de ramener ces pauvres infortunées et d'assurer leur persévérance, je me suis convaincu que dans nos contrées, les jeunes filles du Pays Basque, aussi bien que les Béarnaises d'un caractère vif, exalté, et dominées par un irrésistible besoin d'indépendance ne souffriraient pas facilement une réclusion absolue, et qu'il serait mieux de les appliquer à l'agriculture, au jardinage, aux lessives et, généralement, à tous les travaux de la campagne." (lettre du 2/8/1839).


Selon le Père Cestac, l'accueil doit se faire selon 3 principes : gratuité, liberté et bonne volonté ; il parle "d'asile de pénitence volontaire". Ne pouvant vivre exclusivement de charité, devant le nombre croissant de pénitentes et la nécessité de rendre à ces jeunes filles le sens de leur dignité par le travail, il achète le domaine agricole de Chateauneuf à Anglet. Il y accueille en 1839 les premières jeunes filles encadrées par des collaboratrices, dont Gracieuse Bodin. Ce sera Notre Dame du Refuge. 

"La maison aura des ressources qui, je l'espère, la rendront indépendante de la charité publique."

Par le respect de la nature, le respect de l'humain, il redonne aux personnes accueillies, exclues de la société, le goût de vivre selon le principe de gratuité et de liberté.


Mort et rédemption, nouveau commencement.

La nature doit être respectée : "dans une institution agricole sagement dirigée...on trouve des ressources continuelles et sans cesse renaissantes".

"D'un sol infertile, rebelle à toute culture, insouciant et capricieux comme l'océan qui l'a éjecté, comme lui flottant au gré du vent, ardé jusqu'au fond des entrailles par les rayons solaires : de ce sol accru d'acquisitions successives, bientôt jaillirent en nombre et en force, de plus en plus grands des plantes potagères, des vergers, des moissons, des bois." (Schneider, premier biographe de l'Abbé Cestac)


Pour l'Abbé Cestac, l'agriculture, la nature sont un moyen de subsistance et de rédemption, c'est la terre nourricière dans tous les sens du terme qui nourrit le corps et les âmes. "Mais les sables fécondés par le travail, les prières et les larmes sont devenus une touchante oasis où l'on voit des arbres majestueux et de belles récoltes : sublime et silencieuse prédication qui s'unit au bruit imposant de la mer qui gronde comme pour annoncer à la fois le néant de l'homme et la toute puissance de Dieu." (27/6/1862)


Pour un journal local : "Monsieur Cestac ne pouvait regarder une exploitation agricole que comme une ressource matérielle, comme un moyen de moralisation, mais aussi un moyen de venir en aide aux malheureux et de servir les intérêts de son pays."


Dans sa séance du 30 mai 1852, le conseil municipal d'Anglet déclare, à propos de la maison Notre Dame du Refuge, "que cette maison est destinée à rendre les plus grands services aux populations des campagnes et qu'elle répand autour d'elle des plus précieux bienfaits"..."par sa culture modèle et l'abondance et la qualité de ses produits, elle tend à améliorer l'agriculture et à répandre les meilleurs procédés"..."par ses tentatives hardies dans la culture des sables qui bordent l'océan et les succès étonnants qu'elle a obtenu, elle tend à créer de nouvelles ressources et à donner de la valeur à des terrains jusqu'ici réputés infertiles"…"Pour tous ces motifs, nous pensons que cet établissement est infiniment précieux..."





Nous vous proposons un comparatif entre la pensée du Père Cestac et celle du Pape François :


Louis-Edouard Cestac

(Lettre à Jules Labat, Maire de Bayonne, vers 1855)

Pape François
"J'ai rempli un devoir de conscience car pour le prêtre surtout qui est l'homme de Dieu et l'homme du peuple, tout bien à faire impose un devoir sacré quand ce bien lui est possible…" 
L'amour de la société et l'engagement pour le bien commun sont une forme excellente de charité.
"Il y a tant d'insouciance parmi les hommes. Il y a chez eux, je ne sais quelle triste paresse qui les engourdit et les paralyse jusqu'à leur égoïsme."
Une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l'exploitation et de l'égoïsme.
"Je suis convaincu que cet état illogique, anti-providentiel devra cesser et avant longtemps. On comprendra qu'il est absurde de se plaindre de la disette des substances et de dédaigner un moyen sûr et facile de les augmenter. On en viendra à comprendre le plan de la divine sagesse dans le gouvernement du monde et on entrera dans cet ordre admirable qui veut que l'homme qui se nourrit des produits de la terre, rende à la terre qui les réclame pour produire des plantes nouvelles, ce qu'il ne saurait utiliser par lui-même, qu'il a le plus grand intérêt à enfouir dans la terre et à éloigner de ses habitudes personnelles."
Nous avons besoin d'une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons et ses racines humaines nous concernent et nous touchent tous. L'humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation, pour combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le provoquent et l'accentuent. Le style de vie actuel, parce qu'il est insoutenable, peut conduire à des catastrophes.


    4. Réflexions et réactions

Ces réflexions nous inspirent, nous aident à nous découvrir, à émouvoir notre intérieur et nous appellent à l'action dans nos communautés.

  • Pour quoi passons-nous en ce monde ?
  • Pour quoi venons-nous à cette vie ?
  • Pour quoi travaillons nous et luttons-nous ?
  • Pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous ?
  • Si cette question de sens n'est pas prise en compte, quelles valeurs auront nos préoccupations écologiques ?
  • Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants ?
  • Comment appliquer à notre niveau les principes évoqués par Elena Lasida ? 


    5. Prière 

Pour terminer cette lettre, nous vous proposons cette prière pour notre temps, par Cecil Ralendra de Malaisie :


Là où les familles sont divisées par des crises internes

et où les enfants sont contraints à descendre dans ta rue pour lutter afin de survivre

Là où plus de ressources sont dépensées en armes et en actes de destruction

et ou moins d'attention est accordée à ta maladie ou à ta faim

Viens Esprit Saint,

Soigne nos blessures

Renouvelle toute la création !


Là où l'achat de biens matériels est devenu une obsession

et où la valeur de l'être humain se mesure sur ce qu'il possède

Là où l'air, les arbres et tes océans sont assaillis par ta pollution

et où l'avidité aveugle et mercenaire menace notre environnement.

Viens Esprit Saint,

Soigne nos blessures

Renouvelle toute la création !


Là où des pays sont divisés par les conflits et le racisme 

et où le sang d'innocents est répandu par des actes absurdes de terrorisme

Là où des guerres de destruction réciproque opposent des nations entières

et où l'holocauste nucléaire apparaît sinistrement à notre horizon .

Viens Esprit Saint,

Soigne nos blessures

Renouvelle toute la création !